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Dans la peau d’une équipe de visite engagée dans la lutte contre la piraterie

Mise à jour  : 18/10/2010

TÉMOIGNAGE. L’enseigne de vaisseau « Arthur » est chef de l’équipe de visite à bord de la frégate De Grasse, actuellement engagée dans l’opération européenne Atalante de lutte contre la piraterie. Il livre le récit d’une journée d’interception.

0630 – je suis de quart en passerelle depuis 5h00 ce matin et l’équipage de notre hélicoptère Lynx, en mission de reconnaissance, appelle pour rendre compte qu’il a repéré plusieurs skiffs quittant la plage, vraisemblablement prêts à mener des attaques contre des navires de commerce. Je rends compte au commandant, qui décide d’avancer le branle-bas puis de tenter de les intercepter.

0845 – après avoir ravitaillé, le Lynx reprend sa patrouille. Son objectif consiste cette fois à retrouver les skiffs et à les approcher.

0850 – la passerelle appelle l’équipe de mise à l’eau de l’ETRACO (embarcation qu’utilise l’équipe de visite) à son poste. Le Lynx a repéré un premier skiff qui s’est séparé du groupe et qui fait route sans le savoir vers le De Grasse. A son bord, suffisamment d’indices indiquant un lien avec la piraterie. La passerelle appelle l’équipe de visite. Après avoir pris les dernières consignes du commandant en passerelle, je rejoins mon équipe en coursive centrale pour m’équiper. Ce n’est pas la première intervention depuis que nous sommes arrivés sur zone mais cette fois elle est particulière. Nous ne partons pas pour un skiff, mais pour cinq. L’équipe se concentre, il ne faut rien oublier. Tout en enfilant mon gilet pare-balles, je fais un point sur la situation et je rappelle quelques consignes de sécurité.

0855 – je suis désormais avec mon équipe sur le pont milieu. Nous ne sommes qu’à quelques encablures de la côte somalienne. L’équipe de mise à l’eau s’affère et l’ETRACO est prêt à partir.

0856 – casques capelés, je vérifie une dernière fois toute l’équipe et je fais signe qu’il est temps. Nous descendons deux par deux au filet de débarquement. L’adrénaline commence à monter. Dans quelques minutes maintenant, le pilote mettra les gaz et nous partirons à la poursuite d’un groupe de pirates présumés.

0900 – feu vert de la passerelle ! En liaison radio directe avec le Lynx, le pilote m’indique la position du premier skiff et nous nous dirigeons vers lui aussi vite que nous pouvons. La mer est peu agitée, mais avec des pointes à 40 nœuds, les sensations sont bien là. La place est à la concentration pour toute l’équipe. Chacun se remémore son rôle. Je sais qu’il n’y a jamais eu d’accrochage avec des pirates présumés, mais je me dois de veiller à ce qu’il n’y ait pas de casse. C’est la priorité absolue.

0918 – nous abordons le skiff sous l’œil de l’équipage du Lynx qui continue à m’informer en temps réel. A la vue de l’ETRACO, les pirates présumés mettent les mains sur la tête. Deux membres de l’équipe et moi-même n’avons pas de mal à monter à bord. Quelques minutes plus tard, la situation étant claire et sécurisée, le Lynx repart pour retrouver les quatre autres skiffs. Pendant ce temps là, nous interrogeons les pirates présumés, rassemblons toutes les informations possibles. Le De Grasse m’indique qu’il souhaite réembarquer l’ETRACO et l’équipe de visite afin d’anticiper sur la poursuite des autres skiffs. Rapidement, nous sommes à couple du De Grasse et le skiff intercepté est privé du matériel pouvant servir à une attaque et du surplus d’essence. Puis ses quatre occupants sont libérés à bord de leur skiff.

1016 – le Lynx a relocalisé les quatre skiffs, qui ont rejoint une baleinière pour ravitailler. Les indices que nous retransmets le Lynx sont indéniables, nous sommes désormais en présence d’un pirate action group. Il s’agit d’un groupe d’attaque, constitué en général d’une baleinière (qui sert de ravitailleur ou bateau-mère) et de plusieurs skiffs. Avec ce dispositif, les pirates peuvent tenir plusieurs semaines en mer et attaquer à des distances pouvant aller jusqu’à 1000 milles nautiques des côtes. Le De Grasse met le cap vers la baleinière et je me tiens prêt à repartir très rapidement pour la visiter. La baleinière est clairement notre priorité car isolée, à proximité de nous et surtout c’est elle qui sert à ravitailler les skiffs. Sans elle, les pirates ne pourront pas gagner le large.

1155 – moins de trois heures après la première intervention, nous remettons les casques et les gilets, avant d’emprunter à nouveau le filet d’abordage. Nous devons rembarquer sur l’ETRACO et mettre le cap sur la position indiquée par le Lynx.

1205 – le chef du quart tend le pavillon vert, nous mettons le cap vers la position de la baleinière. Après un peu plus de 10 minutes, j’aperçois le Lynx. Je sais que cela signifie que nous sommes arrivés. Nouveau feu vert du pilote et nous nous mettons à couple de la baleinière. Les cinq pirates présumés présents à bord lèvent les mains et semblent se laisser faire. Deux équipiers et moi-même montons à bord. La tension est à son comble, il ne faut pas perdre des yeux l’ensemble des pirates présumés présents à bord. Nous les rassemblons au milieu de l’embarcation.

1218 – la tension redescend d’un cran, le « rush » est passé. Le Lynx repart à la recherche des autres skiffs. Les pirates présumés semblent très jeunes, sont maigres et vivent dans des conditions très précaires. Je me dis qu’il faut beaucoup de courage, d’inconscience et de désespoir pour prendre la mer dans de telles conditions. Grâce à notre interprète, un maître principal de la marine djiboutienne intégré dans l’équipe de visite, nous entamons la conversation et apprenons d’où ils viennent, qui est leur chef, quelles sont leurs intentions...

1245 – le Lynx annonce qu’il a pu relocaliser deux autres skiffs. Un renfort du De Grasse nous rejoint pour prendre en charge la baleinière et nous remettons le cap à pleine vitesse vers ces deux skiffs. Peu avant notre arrivée, le pilote du Lynx m’informe avoir procédé à des tirs de semonce qui ont fait stopper les skiffs. Ces derniers tentaient de rejoindre la côte.

1330 – les occupants des skiffs se laissent intercepter sans opposition. Je fais monter trois de mes équipiers à bord. Une fois la situation sécurisée, nous faisons route vers le second skiff. Tout y est, échelles, nombreux bidons d’essence… Je rends compte après avoir sécurisé les skiffs et m’être assuré qu’il n’y a pas d’arme à bord. Cette fois c’est fini pour les interceptions, les deux autres skiffs repérés en début de matinée sont hors de portée. Malgré cette déception, mon équipe peut avoir la satisfaction d’avoir empêché un groupe de pirates de prendre le large pour s’attaquer à des navires de commerce. Mais la mission n’est pas terminée. Je demande à mon équipe de mettre les 4 pirates présumés dans le même skiff et nous allons prendre le second en remorque avec l’ETRACO. Pendant ce temps le De Grasse fait route vers nous pour nous récupérer. Revenu à bord, je passe le témoin aux autres équipes du bord chargées de gérer l’accueil des pirates présumés et de rassembler leur matériel. Mon équipe se rassemble en coursive centrale pour se déséquiper. Quant à moi je monte à la passerelle pour rendre compte au commandant, puis à l’officier de quart opérations. De retour avec mon équipe, je lis la fatigue mais aussi la satisfaction sur leurs visages. J’échange quelques mots avec chacun d’entre eux pour les féliciter du bon boulot.

1830 - il est maintenant temps pour mon équipe de se sécher et de se reposer pour être prêts pour les prochaines interventions. Ma journée commencée à 5h00 par trois heures de quart en passerelle s’achève…


Sources : EMA
Droits : Ministère de la Défense