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12/04/10 - Interview du contre-amiral Giovanni Gumiero, commandant la force navale européenne Atalante

Mise à jour  : 28/06/2010

Interview du Contre-Amiral Giovanni Gumiero, de la marine italienne

Vous êtes sur le point de quitter la tête du commandement tactique de la TF 465, force navale européenne de lutte contre la piraterie. Quel bilan dressez-vous de ces 4 mois au large des côtes somaliennes ?

Rappelons tout d'abord le mandat de l'opération Atalante : il s'agit de protéger les navires du Programme Alimentaire Mondial (PAM) et de la Mission de l'Union Africaine en Somalie (AMISOM) afin que ces derniers puissent assurer la livraison d'une part de l'aide humanitaire pour les réfugiés somaliens, et d'autre part des moyens logistiques de l'AMISOM à Mogadiscio. On estime que la survie d'environ 3 millions de personnes dépend de cette aide en Somalie, la plupart étant des femmes et des enfants. Depuis le lancement de l'opération en décembre 2008 jusqu'à ce jour, tous les navires affrétés par le PAM et escortés par un des navires militaires européens est arrivé sans écueil à destination. Ces escortes ont permis d'acheminer plus de 340 000 tonnes d'aide alimentaire, dont 51000 depuis que l'Italie a pris la tête de l'opération sur zone le 12 décembre 2009. Selon moi, ces chiffres attestent d'un bilan positif et doivent être considérés comme un succès pour l'opération Atalante.

Par ailleurs, quand elles ne conduisent pas d'escorte, les unités européennes sont chargées de la protection des navires marchands transitant dans le golfe d'Aden, et plus particulièrement des navires considérés comme les plus vulnérables. Cette mission est menée en coordination avec les autres forces déployées dans cette zone : navires de l'OTAN, navires de la coalition menée par les Etats-Unis.

De toute évidence, il y a une recrudescence des attaques de pirates ces dernières années. Alors qu'en 2008 on enregistrait 111 attaques et 31 bâtiments piratés, on compte pour 2009 214 attaques et 47 bâtiments piratés. Vous constatez que le nombre d'attaques en une année a presque doublé mais que le succès des pirates n'est pas allé de paire. Pendant ces mois passés à la tête de l'opération sur zone, nous avons relevé le défi d'améliorer la coordination dans le bassin somalien, notamment pendant l'inter-mousson. Pour la toute première fois depuis le lancement de l'opération Atalante, nous avons travaillé en cette période propice aux attaques des pirates - les conditions météorologiques sont bonnes - avec un niveau de coordination inégalé jusqu'ici entre l'UE, l'OTAN et la TF 151 (incluant des pays de l'UE, de l'OTAN et d'autres n'appartenant à aucun des deux). Entre les deux moussons annuelles, les pirates profitent de conditions météorologiques favorables pour partir en mer et n'hésitent plus à s'aventurer loin des côtes, parfois à plus de 1000 nautiques des côtes somaliennes. Pour la première fois depuis l'engagement des marines internationales dans la lutte contre la piraterie dans le bassin somalien, une coordination de l'ensemble des forces a été menée, et c'est la mission navale européenne qui s'en est chargée. Grâce au professionnalisme et à la réactivité des unités européennes, nous avons, dans ce laps de temps, procédé à l'interception de vingt groupes pirates et nous avons détruit plus de 30 embarcation, bateaux-mères comme skiffs d'attaque.

L'opération Atalante a été lancée en décembre 2008. Selon vous, quelles sont les évolutions majeures constatées depuis, en ce qui concerne la piraterie maritime et son traitement ?

Alors que le premier semestre 2009 a été marqué par une concentration des attaques dans le golfe d'Aden, ces derniers mois ont montré que c'est désormais le bassin somalien qui est la zone privilégiée par les pirates, comme l'attestent les récentes attaques de navires. Les méthodes, rudimentaires, restent globalement les mêmes, tout comme l'armement des pirates : ce sont des AK47 et des RPG que l'on trouve le plus souvent. Ils utilisent des navires de pêche ou des boutres piratés comme bateaux-mères, et utilisent pour attaquer des skiffs, plus furtifs et plus rapides. Les membres d'équipage sont retenus en otage avec des mitrailleuses et des pistolets semi-automatiques, tandis que les commandants de ces navires sont forcés à mettre le cap vers la Somalie et à se mettre au mouillage au large des côtes somaliennes. Cette situation peut durer des semaines jusqu'à ce que les négociations aboutissent et qu'une rançon soit versée. Aujourd'hui, les pirates s'aventurent plus au large qu'auparavant. Quant à la composition d'un groupe de pirates, le groupe-type est d'ordinaire composé d'un bateau mère et de deux ou trois skiffs d'attaque. Grâce au soutien logistique fourni par le bateau-mère (vivres, carburant), les pirates peuvent passer plus d'un mois en mer, à plus de 1000 nautiques des côtes somaliennes, là où les navires marchands pensent transiter en sécurité car loin des côtes. La survie des pirates dépend bien souvent de leur capacité à pirater une cible d'opportunité, afin de le piller de ses vivres : se ravitailler en nourriture, eau leur permettra de rentrer en vie en Somalie. Ces pirates agissent par désespoir et n'ont pour ainsi dire rien à perdre. C'est une des raisons pour lesquelles on constate une augmentation de la violence des attaques et des échanges entre pirates et navires attaqués. Les équipages sont de mieux en mieux formés à repousser les attaques dans les eaux tourmentées de l'océan indien et du golfe d'Aden, et de plus en plus de navires marchands font appel à des milices privées pour assurer leur protection. En réaction, les pirates deviennent de plus en plus agressifs, n'hésitant plus à faire usage de leurs armes pour intimider l'équipage et le forcer à stopper le navire.

Comme je l'ai dit précédemment, les marines européennes contribuent sensiblement à perturber les groupes de pirates dans la zone. De décembre 2009 à avril 2010, en tant que commandant tactique de l'opération, plus de 250 pirates ont été interceptés et la détermination à poursuivre en ce sens est plus forte que jamais. Les poursuites judiciaires sont également au coeur de notre réflexion : l'Union Européenne a signé des accords avec des pays tiers, comme le Kenya ou plus récemment les Seychelles pour le jugement de présumés pirates dans ces pays. Une centaine de pirates doit être jugée au Kenya et d'autres aux Seychelles, dont les autorités ont récemment annoncé qu'elles s'apprêtaient à construire un nouveau palais de justice et une prison de haute sécurité.

Comment s'est passée votre collaboration avec la marine française et, plus généralement, avec les marines européennes ?

La marine nationale a accompli un travail remarquable dans la lutte contre la piraterie, de concert avec les autres marines navigant sous pavillon européen.

Le professionnalisme et l'implication totale de l'ensemble des membres d'équipage des unités européennes expliquent le succès que nous avons rencontré ces dernières semaines. Le déploiement de bâtiments militaires dans cette zone est un signe fort qui traduit une volonté européenne de préserver la liberté sur les océans et de garantir la sécurité de la navigation dans cet espace maritime stratégique pour le commerce international. Dans le golfe d'Aden et le bassin somalien, de nombreux navires de guerre patrouillent, qu'ils appartiennent à la coalition menée par les Etats-Unis pour lutter contre la piraterie, à l'Union Européenne (Atalante, sous mon commandement tactique), à l'OTAN (Opération Ocean Shield) où qu'ils opèrent dans un cadre national. Leur présence permanente, leur vigilance constante, leur interaction et leur volonté de combiner leurs efforts sont les bases d'un socle commun de travail qui porte ses fruits.

La Suède, après l'Italie, va prochainement prendre le commandement tactique de l'opération sur la zone. Quels conseils donneriez-vous au nouvel état-major ?

Je pense qu'il faut poursuivre les efforts communs pour davantage de synergie entre les forces des autres pays, notamment ceux de l'océan indien qui sont directement concernés par la piraterie maritime. L'objectif est d'améliorer l'efficacité des opérations de lutte contre la piraterie et notamment d'approfondir les liens créés, par exemple avec les garde-côtes des Seychelles et du Kenya. Il nous faut convaincre ces pays de travailler en bonne intelligence afin de trouver une solution commune au problème de la piraterie. Ce travail est déjà accompli grâce aux discussions informelles tenues dans le cadre du groupe de travail SHADE (Sharing Awareness and De-confliction), un forum de discussion multipartite dirigé conjointement par l'UE et la coalition dirigée par les Etats-Unis ; comprenant des représentants des forces navales, des armateurs, des industriels, ainsi que divers pays, qui, pour des raisons multiples, sont touchés par le problème de la piraterie maritime.

J'ajouterai pour conclure que le problème de la piraterie maritime ne saurait être réglé uniquement en mer. La dissuasion et la répression des activités telles que nous les menons en mer ont certes un effet, mais ne constituent pas la solution unique au problème de la piraterie. Selon moi, la communauté internationale doit s'orienter vers une approche globale du problème en Somalie, approche qui dépasse les seules activités militaires, et qui prend en compte les facteurs politiques et socio-économiques de ce pays où la priorité est le rétablissement de l'ordre, de la paix et d'un état de droit. L'opération Atalante est une partie de l'action menée par l'Union Européenne au large de la corne d'Afrique pour remédier à la crise somalienne. Par exemple, des experts européens des questions relatives à la défense examinent actuellement des propositions pour soutenir les garde-côtes des nations riveraines de la corne d'Afrique pour renforcer la lutte contre la piraterie. Ce plan pourrait inclure une mission civile pour supporter les garde-côtes djiboutiens, yéménites et kenyans ainsi que somaliens.

Ces mesures d'ensemble sont selon moi le seul moyen de rétablir un état stable en Somalie, où, depuis l'1991, c'est le chaos qui règne en permanence, menant à l'absence d'ordre public, ce qui constitue un véritable vivier pour la criminalité et la piraterie.


Sources : EMA
Droits : Ministère de la Défense