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Entretien avec le général Pierre de Villiers, chef d'Etat-Major des armées, dans Armées d’aujourd’hui

Mise à jour  : 13/02/2015 - Auteur : La Rédaction - Direction : DICoD

A la tête des armées depuis un an, le général d’armée Pierre de Villiers fait face à une actualité très dense : intervention sur plusieurs théâtres extérieurs, renforcement spectaculaire de Vigipirate, engagement dans une profonde transformation. Pour préserver la disponibilité opérationnelle, en accord avec le ministre, il a convaincu le président de la République qu’il fallait « desserrer l’étau » des effectifs. 

Mon général, en 2013, les armées françaises ont lancé Serval en quelques semaines ; en 2015, elles ont déployé plus de 10 000 hommes en quelques jours pour Vigipirate. Les armées françaises ont bien prouvé leur disponibilité ?

Vous avez raison. Le récent déploiement de plus de 10 000 hommes sur le territoire national montre la formidable réactivité de nos armées et leur grand professionnalisme. La vitesse est la clef du succès. Le plus grand défi, c’est en fait l’accélération du temps. La dimension temporelle a changé la donne ces dernières années. Elle est au centre de toutes les décisions politiques et militaires.
Depuis la rédaction du Livre blanc, le facteur temps s’impose avec de plus en plus de force. C’est pourquoi, face à la dégradation générale du contexte sécuritaire, nous devons accroître notre capacité à déployer des forces à un endroit donné dans un délai de plus en plus court. Dans le processus de transformation dans lequel nous sommes engagés, nous devrons veiller à conserver cette capacité.

Par rapport au Livre blanc, avez-vous eu le sentiment que les armées étaient au maximum des hypothèses d’emploi ?

Nous sommes aujourd’hui au contrat maximal du Livre blanc. J’ai dit au président de la République, la veille de ses vœux aux armées, en accord avec le ministre de la Défense : « Ce que les armées font aujourd’hui, elles ne seront plus capables de le faire dans deux ans si nous maintenons les déflations à leur rythme actuel et avec la cible de 34 000. » Nous sommes heureux, avec le ministre, d’avoir été entendus. Il a annoncé lors de ses vœux que la trajectoire serait revue, me disant à la fin de son discours : « J’ai été plus vite que prévu… » Le conseil de défense du 21 janvier a confirmé la décision du Président, en diminuant le rythme et la cible des déflations.

Car même si toutes les hypothèses étaient envisagées par le Livre blanc, il n’était pas prévu que les trois armées soient mobilisées à ce niveau-là en cours de loi de  programmation militaire (LPM). Nos armées sont en République centrafricaine, dans la bande sahélo-saharienne, au Levant, trois théâtres majeurs. Ce sont des théâtres de
guerre. Nous sommes aujourd’hui au-delà des scénarios les plus contraignants, dont nous savions que le facteur difficile serait la durée. C’est pour cela que j’ai demandé
qu’on desserre l’étau des effectifs et ce travail sera fait dans le cadre de l’actualisation de la LPM avant l’été.

Ne sommes-nous pas engagés dans trop d’opérations à la fois ?

Non, beaucoup de ces opérations sont liées. Il faut avoir conscience du lien étroit qui existe entre la défense de l’avant, ce que nous faisons en opérations extérieures, et la
protection de nos concitoyens sur le territoire national. En agissant au Sahel ou au Levant, en y combattant les groupes insurgés, nous luttons contre le développement de sanctuaires terroristes à partir desquels ils pourraient venir nous frapper. Le lien est fort entre sécurité intérieure et sécurité extérieure ; nous devons frapper l’adversaire avant qu’il ne vienne à nous. Par ailleurs, si nous sommes leader dans la bande sahélosaharienne, nous intervenons comme équipier dans une coalition au Levant. Dans ces combats, la coordination et le partage du fardeau sont importants. C’est pour cela que les relations internationales militaires sont primordiales et que je rencontre régulièrement mes homologues africains, européens et nord-américains sur ces sujets. Nos alliés et nos partenaires savent qu’ils peuvent compter sur nous.

Les armées françaises vont donc se battre sur tous les fronts ?

Nos armées sont présentes sur l’ensemble de leurs missions : la dissuasion nucléaire, les missions permanentes de souveraineté, les opérations extérieures, la protection du territoire national. Elles se battent sur différents fronts et dans les trois milieux traditionnels, auxquels il faut désormais rajouter le cyberespace. Nous consacrons des moyens importants à la cyberdéfense pour que la France reste à la pointe de ce combat, car la crédibilité de notre défense est également en jeu dans ce domaine.  

Des missions nouvelles, des chantiers nouveaux, comment allez-vous concilier ce surcroît de charge avec la nécessaire transformation des armées ?

Je crois qu’il faut d’abord expliquer pourquoi nous nous transformons. La transformation n’a de sens que par le but qu’elle vise.

Pour l’indépendance de notre pays, il est nécessaire de concilier deux impératifs : la réduction de la dépense publique et le maintien d’un outil de défense à même de faire face aux menaces d’un monde instable. Pour tenir compte de ces deux impératifs, un nouveau modèle d’armée et de nouveaux contrats opérationnels ont été fixés dans le Livre blanc. Ils sont ancrés dans une programmation budgétaire et capacitaire sur la période 2014-2019. Avec des moyens en diminution, nous avons dû lancer une profonde
réforme pour maintenir un modèle d’armée complet, réactif et performant. Nous ne ferons pas mieux avec moins, mais il est possible de faire autrement. C’est l’objet du plan
stratégique et du projet que j’ai baptisé « Cap 2020 ». Les décisions du conseil de défense du 21 janvier vont donner la respiration nécessaire à ce projet, dont la feuille de route est l’ordre aux armées, directions et services.

Quelles sont les priorités fixées dans l’ordre aux armées, directions et services pour 2015-2017 ?

La première est de réussir nos opérations, de garantir notre performance opérationnelle. La deuxième est de réussir la manœuvre des ressources humaines en pensant autrement notre modèle RH. C’est un vrai défi et je suis très attaché à la réussite de cette manœuvre, car, derrière toute décision, il y a une femme ou un homme et sa famille. C’est une chose que j’ai en permanence en tête. La troisième est de capitaliser sur les bonnes pratiques en donnant du sens aux multiples réformes entreprises. Le moral des troupes est en jeu. Et, pour réussir, outre la pédagogie, nous avons besoin de nous appuyer sur ce qui nous rassemble : nos valeurs par exemple de courage, de cohésion, le sens du bien commun. C’est tous ensemble que nous pourrons réussir à construire l’armée de demain. J’ajoute que le contexte nouveau demande un effort sur les réserves. Il nous faut pour elles un vrai projet novateur. Nous partageons cette conviction avec le ministre, et le Président nous a entendus puisqu’il en a parlé lors de ses vœux. Il faut que nous réfléchissions ensemble à un projet d’optimisation de l’utilisation des réserves dans le cadre de nos capacités actuelles.

Au-delà des structures et des hommes, il faut prendre en compte les moyens financiers. Cette transformation sous forte pression budgétaire est-elle risquée ?

Lors de mon audition au Parlement sur le projet de loi de finances 2015, j’ai tenu un discours de vérité en disant qu’il n’y avait « plus de gras » dans nos armées, s’il y en a jamais eu ! En tant que premier des militaires, il est de mon devoir de dire les choses sans minimiser les difficultés, sans dramatiser à l’excès non plus ! Mon discours reste le même quel que soit l’auditoire.

Je vous l’ai dit, la réduction des dépenses publiques est aussi une condition de notre indépendance. Mais la réalité de la menace a confirmé que l’on ne peut pas faire plus en matière de réductions sans remettre en cause nos capacités opérationnelles. Le chef des armées nous a entendus. Sur le plan des ressources, le Président a réaffirmé la sanctuarisation du budget de la Défense. Pour les armées, c’est essentiel. Les décisions du conseil de défense vont garantir le renouvellement de nos équipements prévu par la LPM, dès cette année. Si les objectifs budgétaires fixés par la LPM sont ainsi respectés, les risques sont maîtrisables. Nous travaillons à cela avec les chefs d’états-majors
d’armées avec lesquels nous formons une équipe extrêmement soudée. La transformation est un défi. Pour y faire face, notre force, c’est le collectif !

L’état-Major des armées a lancé en janvier le site interne « Transformons notre armée ». La logique de la transformation des armées n’est pas bien perçue ?

La transformation n’est pas toujours bien comprise, elle est même parfois anxiogène. Je me rends régulièrement sur le terrain, et je m’en rends compte. J’ai donc décidé la création de ce site pour que tous puissent connaître et comprendre la transformation. Il s’agit d’un outil pour tous, mais aussi pour le commandement de proximité. Sur le terrain, le chef joue un rôle primordial. Oui, il faut un discours de vérité, il ne faut rien cacher, mais il ne faut pas baisser les bras. Ensemble, il faut être convaincus, rester soudés, faire preuve de courage et de volonté, faire au mieux avec les moyens qui nous sont donnés. Le site « Transformons notre armée » contribue à diffuser cet état d’esprit.

Vous avez passé la période de Noël avec les soldats de l’opération Sangaris et de Barkhane. Sont-ils confiants ou inquiets de l’évolution des armées ?

Je rencontre régulièrement les soldats déployés en opérations. Je ne conçois pas autrement ma fonction de Cema. Les hommes et les femmes que je rencontre sont remarquables de courage et d’abnégation. Ils sont enthousiastes et leur moral est excellent. Ils montrent un grand sens du service et je peux vous dire que j’ai une grande admiration pour eux. Nous avons une belle jeunesse militaire ! L’engagement opérationnel est la raison d’être de nos armées. C’est pour cela que nous concentrons nos efforts sur les opérations, les soldats qui y sont engagés ont les moyens de leurs missions. Ces efforts pour les opérations sont assumés, même s’ils ont parfois pour conséquence moins de moyens en métropole. La vie en garnison s’en trouve affectée et le moral s’en ressent parfois, mais tous ceux que je rencontre comprennent cette priorité aux opérations : c’est notre raison d’être.

C’est pourquoi, je veux redire que dans une période marquée par tant de bouleversements, les Français peuvent compter sur leurs armées. Elles sont craintes par nos adversaires, admirées par nos alliés : elles sont au rendez-vous ! Par nos engagements sur les théâtres d’opérations comme sur le territoire national, nous défendons notre pays. Je sais que toutes les femmes et les hommes de nos armées, directions et services s’engagent avec détermination dans les opérations les plus dures comme au sein de nos garnisons dans lesquelles nous devons mettre en œuvre une transformation difficile mais nécessaire. Je ne méconnais aucune des difficultés. Ne perdons jamais de vue qu’en ces temps difficiles, il nous appartient d’œuvrer ensemble, pour que ne soit jamais démentie la valeur opérationnelle de nos armées. C’est notre vocation, c’est notre  ambition, c’est notre honneur pour le succès des armes de la France !

Propos recueillis par la rédaction d'Armées d'aujourd'hui

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Sources : Ministère des Armées
Droits : Ministère de la Défense